La recommandation sociale : ange ou démon ?

par ‘Mar 6, 2017’Personnalisation

Les récentes surprises électorales telles le Brexit ou l’élection de Trump aux États-Unis, ont d’une part pointé du doigt les limites des critères d’échantillonnage des instituts de sondage, mais surtout mis en exergue les travers potentiels de la recommandation sociale, transparente et même parfois ignorée des internautes qui en bénéficient.  Les réseaux sociaux ont en effet pris une importance telle dans notre société, en particulier au regard de la consommation de l’information, qu’il devient essentiel d’en comprendre le fonctionnement pour en évaluer l’influence.

La recommandation sociale consiste à suggérer, voire à imposer, les contenus ou les produits postés ou appréciés par les connexions sociales sur les plateformes éponymes.  L’exemple le plus connu est celui de Facebook dont la visibilité des contenus sur le fil d’actualité est dictée par un algorithme appelé EdgeRank. En deux mots EdgeRank utilise plusieurs types de critères. Tout d’abord, l’affinité entre deux comptes (utilisateur ou pages lorsqu’il s’agit de comptes représentant une marque par exemple). Ensuite le type d’interaction est pris en compte : un partage aura un poids plus élevé qu’un commentaire qui aura un poids plus élevé qu’une réaction. Facebook parle du reste de hiérarchiser aussi les différentes réactions aujourd’hui disponibles (love, hate, surprise, etc). Le type de contenu est également pris en compte : plus le contenu est riche plus son poids est important. Ainsi la présence de vidéos ou de photos rend un post plus important que le simple texte. Enfin, la fraicheur de l’information vient boucler ce florilège de critères d’EdgeRank qui mélange ensuite savamment ces ingrédients pour ordonner les posts de votre fil d’actualité.

Il est aujourd’hui de notoriété publique que cet algorithme a une influence significative sur la visibilité des posts et donc un impact sur l’accès aux contenus pour les utilisateurs, mais aussi évidemment la portée des publicités ou des contenus que les marques diffusent sur le réseau social.   Je vous épargne les détails algorithmiques, mais l’important est que la viralité (la capacité à diffuser de l’information de manière exponentielle) des réseaux sociaux fait qu’une petite différence initiale peut mener à un impact majeur sur la visibilité finale des posts auprès des internautes. Au-delà de l’impact sur l’information, les marques qui diffusent de la publicité pour leurs produits peuvent également se voir pénalisées, en particulier lorsque les règles du jeu changent comme c’est arrivé sur Facebook en juillet 2016.

 

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Les vertus de la recommandation sociale 

La recommandation sociale est assez naturelle, qu’elle soit liée à la consommation de l’information ou de produits. Elle reproduit ce que les hommes font naturellement dans une société : on lit un livre parce qu’il nous est recommandé par un ami ou notre émission culturelle favorite, on choisit un film parce que notre meilleure copine vient de nous le recommander, on lit les journaux politiques qui correspondent à nos idées, etc.  Il est assez clair que ces recommandations sont pertinentes, car elles sont véhiculées pas des canaux choisis par chaque personne et qui généralement correspondent aux idées des gens qui choisissent ces canaux particuliers.  C’est un excellent filtre dans un monde dans lequel la production de l’information excède de plusieurs ordres de grandeur la capacité des gens à les consommer.  D’ailleurs, bien au-delà des réseaux sociaux, la recommandation sociale est aussi parfois appliquée dans la recommandation de produits. Là où certaines approches à la personnalisation consistent à suggérer à un client des produits que d’autres clients exhibant un profil similaire ont consommés, d’autres approches consistent à suggérer les contenus que les « amis » ont consommé, c’est-à-dire les connexions sur les plates-formes sociales. Avec un certain succès… et certaines limites.

Les risques de la viralité des réseaux sociaux 

fake-news-recommandation-socialeOui, mais voilà la recommandation sociale a cherché à reproduire un comportement humain « Hey, Alice tu devrais lire ce roman, je l’ai adoré » qui est pertinent, mais pas suffisant, car Alice dans sa vie quotidienne sera exposé à d’autres livres, ceux mis en avant chez son libraire préféré, ceux dont elle entendra parler dans les émissions de télé ou de radio, ceux que lira son voisin dans le métro, ceux dont la publicité orne les abribus, ceux dont elle va discuter avec ses collègues de bureau et qui manifestement n’ont pas les mêmes goûts qu’elle.

Pourtant la recommandation sociale oublie parfois ces règles élémentaires et si elle a des vertus, elle présente également quelques limites. La première relève de ce qu’on appelle les bulles d’influence, ou bulles de filtrage, qui désignent le processus d’enfermement de l’internaute dans une bulle qui reflète et renforce son opinion et celle de ses « amis ».  Reprenons donc l’exemple de EdgeRank, et concentrons-nous sur le critère de l’affinité. EdgeRank calcule l’affinité entre deux comptes comme leur propension à aimer et réagir à leurs posts respectifs. Ainsi si Alice et Martin ont une affinité élevée, plus élevée que celle d’Alice et Anne, l’impact d’EdgeRank consistera à renforcer la présence des posts de Martin sur le fil d’actualité d’Alice. En conséquence, ceci renforcera la propension d’Alice à réagir aux contenus postés par Martin et ainsi contribuera à augmenter l’affinité entre Alice et Martin. Et la boucle est bouclée. Pendant ce temps, les posts d’Anne, ne referont pas surface sur le fil d’actualité d’Alice et de fait Alice n’aura même pas l’opportunité d’y réagir. C’est ce qu’on appelle le processus de renforcement : l’affinité entre Alice et Martin ne fera qu’augmenter, celle d’Alice et Anne de diminuer relativement. Peut-être qu’Alice aurait pu réagir aux posts d’Anne, elle n’en a simplement pas eu l’occasion. Ces bulles de filtrage ont pour effet de ne fournir à Alice qu’une vision très partielle du monde, voire de la déformer, en résonnance avec ce qu’elle pense et qu’elle aime. C’est ainsi que les supporters de Trump ont continué de se conforter dans leur engouement et que leurs opposants n’ont rien vu venir.  Deux composantes connexes et pourtant complètement déconnectées du monde virtuel.

Et la vient un second problème potentiel qui a pollué les derniers événements politiques en particulier outre-Atlantique, celui des fake news…. Si en outre, les informations diffusées sont juste fausses (« fake news »), elles continuent quand même de se disséminer de manière épidémique, c’est-à-dire à la vitesse de la diffusion du virus de la grippe aviaire dans un élevage bovin, de manière exponentielle.  Ceci ne fait qu’augmenter l’impact de la viralité et des bulles d’influence. Les acteurs principaux du domaine essaient aujourd’hui de proposer des méthodes de « fact checking » dont il paraît évident qu’elles devront un jour être automatisées et bloquées dans le processus de diffusion.

 

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Vers une recommandation sociale diversifiée

Clairement la recommandation sociale agit comme un filtre potentiellement efficace, mais si elle est utilisée pour paramétrer entièrement un fil d’actualité ou une page Web dans son ensemble, elle présente des limites certaines. Et pourtant il n’y a pas de fatalité, plutôt que d’entièrement reposer sur de la recommandation sociale, il est sain de pouvoir proposer aux internautes, que ce soit dans le domaine des réseaux sociaux ou celui de la recommandation personnalisée de manière plus générale,  de la sérendipité, c’est-à-dire une capacité à faire découvrir des produits ou des contenus qu’un client ou un internaute n’aurait pas découvert par ses canaux habituels de communication. Et il est possible, et souhaitable, du reste de veiller à ce coup de pouce de la découverte, qui a l’avantage de ne jamais enfermer les gens dans ces bulles de filtrage, de limiter aussi la dissémination de « fake » information, tout en gardant les vertus de la recommandation sociale.

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CEO et cofondatrice de Mediego, Anne-Marie a eu auparavant une carrière académique (ancienne directrice de recherche à INRIA) dans le domaine de l'informatique. Elle saura vous apporter des connaissances techniques et vous transmettre sa passion pour les algorithmes de recommandation.

Anne-Marie Kermarrec

CEO, Mediego

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